«La part des mineurs (dans la délinquance) a augmenté de près de 5% en un an, pour atteindre 18%», assène le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux. Du coup, le même ministre de l'Intérieur a «lancé l'idée d'un couvre-feu ciblé sur des mineurs délinquants» de moins de 13 ans, le mardi 3 novembre, à Paris, lors des «rencontres de Beauvau» organisées avec des élus de la majorité présidentielle.
Nous y revoilà. Elections en vue, on ressort les vielles recettes : « nous sommes en danger, les jeunes sont nos ennemis, ils sont de plus en plus violents, de plus en plus jeunes. Ils sont armés jusqu’aux dents, prêts à faire la peau à tout ce qui passe. Mais n’ayez crainte, citoyens, nous sommes là pour vous protéger : VOTEZ POUR NOUS ! » Et tant pis, si au passage, on prend lesdits citoyens pour des imbéciles en leur assénant des contre-vérités sur des chiffres lus à la sauce sécuritaire (si les mêmes inepties avaient été proférées par des jeunes, on aurait appelé ça « mensonges » plutôt que « contre-vérités »).
Car c’est de ça dont il s’agit, prendre les gens pour des c… afin de capter leur suffrage.
Tout d’abord, tordons le coup d’entrée de jeu aux idées reçues qui n’ont d’autre objectif que de tuer le débat : Nous ne sommes pas de doux pédagogues qui versons dans l’angélisme béat devant le jeune en éveil et en plein épanouissement dans sa découverte du monde, y compris quand il fait des conneries. Il est clair que, pour nous, la délinquance des jeunes existe, qu’elle est un problème sérieux et qu’il est parfaitement légitime que les représentants du peuple que sont les élus s’attèlent à cette question. C’est dit et c’est bien, entre autres, pour ça qu’aux CEMEA, nous nous sentons concernés depuis plus de 70 ans, par les questions d’éducation.
Seulement voilà, dire que la part de la délinquance des jeunes augmente et qu’elle touche des jeunes de plus en plus jeunes est simplement faux. Certains peuvent bien sûr aménager la lecture des chiffres pour leur faire dire ce qu’ils auraient envie d’entendre, mais ça restera comme dit plus haut, à tout le moins une contre-vérité et au pire, un mensonge éhonté en vue d’une manipulation des masses citoyennes.
Il suffit pour ça de s’appuyer sur les chiffres des ministères de l’intérieur et de la justice qui sont publiés chaque année et qui font apparaître que la proportion de mineurs délinquants (sur l’ensemble des infractions constatées) n’augmente pas. Elle aurait même tendance à baisser puisqu’après avoir augmenté de façon significative au milieu des années 90, elle est passée de 22 % en 1998 à 18 % en 2007. Encore, retenons-nous ici, comme définition de la délinquance, le concept de « personnes mises en cause » par la police ou la gendarmerie suite à des constatations d’infractions. Cela est déjà tout à fait discutable. Dans un pays qui, au nom de la démocratie, met perpétuellement en avant, hommes politiques de tous bords en tête, le principe de la présomption d’innocence, est-il légitime de parler de délinquance pour des actes qui suite, à la constatation d’une infraction, n’ont pas encore été suivi d’un traitement judiciaire et d’une reconnaissance de culpabilité ? Les pédagogues que nous sommes sont bien placés pour savoir que le concept de « personne mise en cause » ne peut être qu’un indicateur approximatif. La mise en application de ce concept plutôt subjectif (quoique nécessaire dans l’action de la police comme du pédagogue) varie en fonction de la personne qui le met en application (il suffit de constater les différences de sanction posée par un adulte ou un autre dans les lieux éducatifs pour un fait similaire) mais aussi parfois pour la même personne en fonction des moments (un même fait est alors sanctionné de façon différente selon l’état du moment de la personne chargée de l’évaluer). De plus, ce type d’indicateur est particulièrement sensible aux consignes de renforcement de la répression de tels ou tels types d’actes par tel ou tel type de population. Au passage, cela devrait nous amener à nous poser de sérieuses questions sur la façon dont nous évaluons la gravité des faits posés, la culpabilité des acteurs concernés et dont nous posons les sanctions dans les lieux éducatifs.
Ce que montrent les chiffres, c’est bien que le nombre brut d’infractions commises par des mineurs en France augmente mais, d’une part, ce nombre est à relativiser par rapport à l’augmentation globale de la population, et d’autre part, la part des infractions commises pas des mineurs sur la globalité des infractions commises et sanctionnées est elle en diminution ces dernières années.
Dans ces infractions commises par les mineurs, quelle part pour les moins de 13 ans ?
Si l’on se fie aux chiffres fournis pas le ministère de la justice lui-même, en 2006, 614 231 mineurs ont été condamnés. 2022 avaient moins de 13 ans, soit 0,3 % des délinquants de tous âges. Parmi, ces 0,3 %, aucun n’avait commis d’homicide. Le total des faits qui peuvent être qualifiés de criminels (homicides, vols à main armée, viols, prise d’otage et séquestration, trafic de stupéfiants) ne représente que 1,3 % de l’ensemble des infractions imputables à des mineurs. Un seul chiffre est vraiment inquiétant, celui des viols et des agressions sexuelles par des mineurs, souvent sur d’autres mineurs de leur entourage immédiat qui a considérablement augmenté ces dernières décennies (Reste à faire la part des choses de l’impact statistique d’une meilleure dénonciation de ce type de faits pour mesurer la réalité de l’augmentation de leur fréquence).
Alors non, la part de la délinquance des mineurs n’augmente pas. Non, on ne peut pas dire n’importe quoi sur un sujet aussi sérieux. Non, on ne peut pas jouer sur les réflexes de peur pour asseoir une réélection au risque de passer à côté d’un problème réel, sérieux qui doit être traité pour ce qu’il est. Car à force, de jouer avec la peur et l’émotion, on empêche la rencontre de l’autre. On crée ainsi les conditions pour que des jeunes qui ont réellement besoin de l’accompagnement des adultes ne parviennent plus à le demander. Ils se trouvent alors si loin des adultes qu’ils ne se sentent plus protéger par eux.
Qu’on ne s’étonne pas alors, qu’ils se cherchent d’autres figures identificatoires. Et c’est bien là, Monsieur le Ministre, que vous vous trompez, montrant au passage votre totale ignorance des réalités de terrain. Car un jeune de moins de 13 ans, délinquant ou pas, s’il est dans la rue la nuit, est toujours accompagné. Reste à savoir par qui et pourquoi … la nuit comme le jour….
Laurent Catelle