Synthèse du dossier du "Collectif des Associations Partenaires de l’École"
Le ministre de l’Education Nationale a installé le 7 juin le comité de pilotage de la conférence sur les rythmes scolaires permettant la mise en place d’une consultation nationale sur ce sujet historiquement épineux. Il s’agit, tout d’abord, de remettre à plat l’organisation du temps scolaire imposée par Xavier Darcos, ancien ministre. La suppression du samedi matin s’est traduite le plus souvent par une semaine de quatre jours de classe, allongée de quelques heures pour certains élèves en difficulté passagère.
Les récentes conclusions de l’académie de médecine, l’avis de nombreux spécialistes, les observations des enseignants des écoles et des partenaires associatifs de l’Ecole mettent en avant le décalage entre les rythmes de l’enfant et l’organisation de la journée, de la semaine ou de l’année scolaire.
Récemment, le Collectif des Associations Partenaires de l’Ecole* (CAPE), regroupant les associations éducatives et pédagogiques laïques partenaires de l’Ecole Publique, a apporté sa contribution au débat.
Quelques arguments parmi les plus pertinents :
Des enjeux éducatifs, sociaux, sociétaux, politiques, économiques, idéologiques...
Le temps de l’Ecole a toujours été défini selon des enjeux très divers et les rythmes scolaires soumis à des intérêts et intentions bien souvent contradictoires oubliant celui des élèves.
Nous estimons pour notre part que les débats sur la fatigue des élèves et le temps scolaire se réduisent trop souvent au problème de la mesure de la durée maximale d’attention des élèves et du nombre de fois qu’on peut répéter cette durée dans une journée, une semaine… C’est découper et morceler les contenus en petits fragments assimilables, ce qui va à l’encontre des découvertes pédagogiques sur l’unité de la tâche, qui permettent de lui donner tout son sens, son intérêt et donc de développer la motivation de l’apprenant. Richesse et densité plutôt que durée.
Tout élève est un enfant, un adolescent. Il faut que les adultes dépassent leurs intérêts personnels ou corporatistes pour travailler sur le rythme de vie et d’apprentissage des enfants et adolescents en incluant tous les temps : familial, sociétal, scolaire, sommeil, restauration, inactivité, etc. Ils doivent donner la priorité à l’intérêt général des enfants, des adolescents et à leur éducation.
Le temps scolaire occupe ¼ du temps d’une journée d’un enfant soit seulement 10 % d’une année. Et pourtant c’est autour de ce 1/10 qu’est organisé son emploi du temps, incluant les temps de transport, la garderie, la restauration scolaire, l’étude, les pratiques culturelles et sportives, sans oublier les devoirs à la maison, exportation du temps scolaire. Repenser la journée scolaire, c’est penser la journée de l’enfant dans sa globalité en y intégrant tous les temps éducatifs.
On propose également, de plus en plus d’école après l’école. Il ne suffit pas d’allonger les journées scolaires, de faire refaire les leçons en dehors de la classe, de redoubler son année pour accroître les apprentissages.
La réflexion ne peut être réduite à la seule réforme des horaires scolaires. Elle doit prendre en considération tous les temps, ceux de l’enfant, mais également ceux des adultes, les espaces et lieux de vie où ces temps se déroulent, les démarches pédagogiques, dans l’école et hors l’école.
En postulant l’existence de « rythmes » inhérents aux individus, on contribue à faire de cette hétérogénéité un phénomène naturel auquel l’école devrait s’adapter en organisant des scolarités et des parcours à plusieurs vitesses. Ne penser le temps scolaire qu’avec des activités susceptibles de s’adapter à ce que sont les enfants au lieu de leur permettre de se transformer renforce les inégalités préexistantes à l’action éducative.
Les milieux « défavorisés » profitent beaucoup moins de leur temps libre : difficultés financières, moindres disponibilités de temps du fait des horaires de travail, des contraintes de transports,… Cette exclusion par le temps concerne surtout les enfants les plus distants du système scolaire, les plus concernés par les « difficultés scolaires », le décrochage.
Si le cadrage national n’est pas assez fort, la décentralisation peut conduire à des inégalités. Un cadre de principes applicables pour tous les enfants et adolescents, quels que soient leurs territoires de vie, est pleinement de la responsabilité de l’Etat.
Les rythmes scolaires, c’est aussi une question de pédagogie !
Redisons-le, l’activité intellectuelle demandée aux jeunes pour apprendre, accroître leurs connaissances, développer des compétences, élargir et diversifier leurs pratiques culturelles, se former à la citoyenneté ne peut se résumer à une question d’heures de travail scolaire plus ou moins bien réparties sur la journée, la semaine, l’année.
Donner le temps d’apprendre, c’est articuler les temps de la découverte, de la compréhension, de la confrontation à l’existant, du réinvestissement, de l’assimilation ; c’est recourir à des dispositifs pédagogiques variés qui sollicitent, de multiples façons, l’attention des élèves. L’apprentissage n’est pas la conséquence immédiate de l’activité. Des temps de latence, tout comme les temps de rêveries, sont nécessaires à l’assimilation.
Les natures des apprentissages sont multiples. Tous les temps du jeune sont source d’apprentissages : temps scolaire, temps récréatifs, temps familiaux, temps périscolaire, temps des vacances. Les établissements scolaires sont des lieux de vie où les associations partenaires de l’école publique laïque participent à la construction des réponses éducatives et contribuent pleinement à l’assimilation des objectifs du socle commun lors des temps périscolaires, des temps relatifs à la vie démocratique de l’établissement scolaire... Il est nécessaire de laisser aux jeunes le temps et l’opportunité de pouvoir aussi se construire dans ces moments-là.
L’appropriation de l’espace et du temps est un apprentissage en soi. Le jeune apprend à gérer son emploi du temps, à trouver son rythme. Même si les rythmes gagnent à être réguliers, connus et maîtrisés par les enfants, l’organisation du temps des apprentissages doit également laisser la place à l’inattendu, à l’exceptionnel, à la souplesse des besoins de chacun.
Ainsi, le temps doit être une variable d’action à part entière, au service des apprentissages des enfants. Les acquis de la recherche comme des innovations pédagogiques doivent être mises en valeur dans la formation des professionnels de l’éducation pour l’organisation des temps de vie collective (temps d’accueil, alternance des activités, etc.), comme dans la progression des apprentissages (temps de la découverte, de l’assimilation, de la médiation, etc.).
La gestion du temps doit être intégrée dans les projets d’établissement scolaire, en concertation avec les acteurs locaux.
Les rythmes scolaires : un enjeu d’une éducation partagée
La réussite éducative se joue autant sur le temps scolaire que sur les temps d’éducation non formelle et informelle, où peuvent se développer et se renforcer une grande variété de connaissances et de compétences, notamment des compétences sociales, civiques, d’autonomie et d’initiative. Ces compétences, qui vont au-delà des disciplines scolaires traditionnelles, ont vu leur importance reconnue par la loi d’orientation sur l’École autour du socle commun de connaissances et de compétences.
La prise en compte globale des rythmes pose de manière incontournable la question de la reconnaissance et de l’articulation (voire la cohérence) d’acteurs de professionnalités et de légitimités différentes autour de projets communs.
À un moment où les enjeux de performance scolaire l’emportent sur une approche éducative globale, il a un risque important de « scolarisation » de ces temps éducatifs qui ont leurs approches et logiques propres, non moins nécessaires à la réussite des jeunes.
Au-delà du souci légitime de la réussite scolaire, la mise en œuvre d’un véritable « accueil éducatif », une attention collective portée à l’enfant, à l’adolescent et à leur éducation, concerne l’ensemble des espaces éducatifs, mais aussi les espaces de participation et les espaces publics susceptibles de recevoir les jeunes. Il permet de préciser la complémentarité entre rythmes scolaires et rythmes sociaux, entre les espaces contribuant à l’accès à une diversité d’apports, de repères, de valeurs.
Cette préoccupation doit être le pilier central d’un projet local d’éducation articulant les projets des établissements scolaires et les projets des différents et nombreux organisateurs d’activités éducatives.
Dans cette logique, l’approche par les rythmes a été, depuis plus de 25 ans, à la base de l’élaboration de projets partenariaux de territoires prenant en compte la responsabilité partagée en matière d’éducation : depuis les CATE, ARVEJ jusqu’aux contrats éducatifs locaux, contrats enfance jeunesse, etc. Déconcentration et décentralisation ont ainsi consacré la place incontournable des collectivités locales, des associations et des parents dans ces projets partagés.
Si l’approche territoriale permet de mieux répondre à des contraintes spécifiques, une trop forte autonomie de la décision locale poserait néanmoins le problème de l’égalité d’accès à une éducation globale de qualité.
Il importe donc de pousser la réflexion sur une politique nationale, posant un cadre d’exigence en matière de rythmes et d’acteurs, mais permettant des adaptations locales, tout en étant garante de l’équité entre territoires.
Dans sa responsabilité, l’État doit poser un cadre de principes applicables pour tous les enfants, adolescents, jeunes, quels que soient leurs territoires de vie. C’est la garantie de l’égalité républicaine.
Pour tenir compte des évolutions dans la construction des réponses éducatives, ce cadre doit permettre la définition de politique d’aménagement des temps éducatifs dans le cadre de projets locaux d’éducation qui associent tous les acteurs éducatifs.
Afin de préciser ce cadre, l’État doit aujourd’hui préciser le périmètre du système éducatif public.
Au regard des évolutions, ce périmètre recouvre aujourd’hui tant les temps scolaires que les temps appelés traditionnellement périscolaires. Il convient aujourd’hui de fixer dans le cadre national l’obligation d’organisation de structures d’accueil périscolaires dans les projets qui seront mis en œuvre territorialement. Il convient également que ce cadre n’abandonne pas aux seules familles les temps extrascolaires et que soient réaffirmées les politiques mises en œuvre, par la CNAF notamment, sur ces temps.
L’État doit enfin fixer un temps scolaire hebdomadaire qui doit être organisé territorialement en cohérence et complémentarité avec les temps périscolaires, et, en conséquence, avec les temps annuels de vacances. Il convient de laisser la nécessaire souplesse sur les temps quotidiens et le nombre de demi-journées de classe dans la semaine afin que les acteurs locaux puissent réellement construire un aménagement des différents temps quotidiens en fonction des besoins éducatifs et sociaux spécifiques des territoires : sans cette souplesse, les projets seront, de fait, construits autour du temps scolaire.
* AFEV ; AFL ; CEMEA ; CRAP-Cahiers pédagogiques ; Éducation & Devenir ; EEDF ; Fédération des PEP ; Fédération Léo Lagrange ; FOEVEN ; Francas ; GFEN ; ICEM-pédagogie Freinet ; Ligue de l’Enseignement ; OCCE...
Synthèse effectuée par Jean-Paul VANDENWEGHE